Journées portes ouvertes 7 et 8 septembre 2024
Les festivités continuent : pour fêter son centenaire, la Station ornithologique invite toutes les amies et amis des oiseaux à Sempach.
Les forêts de montagne et leur avifaune spécifique
Des espèces principalement issues du sud de l’Europe ou des régions boréales cohabitent dans les forêts de conifères des Alpes. Après des siècles d’exploitation – parfois de surexploitation – agricole et sylvicole, nombre de ces forêts subalpines sont de nouveau laissées à leur sort, au profit de passablement d’espèces d’oiseaux, mais aussi aux dépens de l’une ou l’autre.
Dans les Alpes, les forêts de conifères couvrent les étages montagnard supérieur et subalpin et se caractérisent par l’absence totale de hêtres dans leur strate arborée. Elles dominent la surface boisée dès 1500 m environ jusqu’à la limite des arbres, mais occupent aussi des sites où le hêtre ne peut pousser, souvent déjà dès 1100 m, et même ponctuellement à plus basse altitude.
L’essence la plus répandue est l’épicéa, suivie par le sapin, qui cèdent leur place à l’arole et au mélèze au-delà de 1900 m environ dans les vallées internes, au climat continental marqué (hivers froids, étés chauds et secs). Le mélèze constitue en outre des peuplements purs étendus dans la zone de combat des Alpes méridionales. Sur des sols extrêmement secs, où les autres essences ne peuvent croître, le pin de montagne forme aussi, à l’occasion, des boisements homogènes. Les seuls feuillus présents dans les forêts de conifères sont le sorbier, l’érable sycomore et le bouleau pubescent. L’aune vert est également répandu à cette altitude et constitue des brousses exclusives, toutefois souvent considérées comme forêts buissonnantes.
À l’approche de la limite des arbres, bon nombre de forêts résineuses sont aérées : elles permettent à la lumière de gagner le sol, favorisant la croissance de plantes héliophiles en sous-bois. L’exploitation séculaire (bois et pâturage) a encore davantage dégagé ces forêts naturellement ouvertes, et déplacé vers le bas la limite supérieure des arbres.
Une avifaune variée
L’avifaune de ces forêts de montagne est généralement moins riche en espèces que celle des boisements mixtes de l’étage montagnard. La richesse spécifique importante révélée par certaines études découle d’un développement forestier particulièrement riche en structures, à la suite de tempêtes ou d’attaques de scolytes. La composition spécifique des forêts subalpines est intéressante à bien des égards : d’une part, elles hébergent des espèces à distribution boréo-alpine typique, comme le Pic tridactyle ou la Chevêchette d’Europe, et d’autres dont l’aire de répartition est plutôt méridionale, telles que le Venturon montagnard et le Pouillot de Bonelli ; d’autre part, les forêts de la zone de combat et en lisière de milieux agricoles revêtent une grande importance pour des espèces comme le Pipit des arbres ou la Fauvette babillarde, liés à des espaces dégagés parsemés d’arbres.
En Suisse, comme sans doute dans les pays alpins limitrophes, ces forêts de montagne figurent parmi les milieux les plus importants pour la protection des oiseaux à l’échelle européenne, puisque, en comparaison internationale, 37 espèces présentent chez nous des populations étoffées, conférant à la Suisse une responsabilité à leur égard. Bien que les plus grandes parts d’effectif européen de notre pays concernent des espèces alpines telles que Pipit spioncelle, Accenteur alpin, Niverolle alpine et Chocard à bec jaune, la part de plusieurs espèces typiques des forêts subalpines, telles que Merle à plastron, Venturon montagnard, Cassenoix moucheté, Mésange noire et Chouette de Tengmalm, est aussi proportionnellement plus élevée.
Évolution de l’exploitation forestière
Des siècles durant, les forêts de montagne ont fait l’objet d’une exploitation plus ou moins intense par la population locale, souvent sous la forme de systèmes agro-sylvicoles mixtes, dans lesquels les forêts pâturées occupaient de grandes étendues. Toutefois, le bois était aussi largement utilisé à des fins commerciales, puisqu’il était vendu comme matière première dans la vallée ou servait de combustible pour la fusion de minerais extraits dans la région. À partir de la fin du XIXe siècle, les conditions de vie des populations montagnardes ont subi de profonds changements, qui se sont répercutés aussi sur l’exploitation forestière et, partant, sur l’évolution de la forêt. Le bois a tout d’abord peu à peu perdu de son importance en tant que combustible et matériau de construction, évincé par d’autres matériaux comme le charbon et l’acier ; l’utilisation commerciale du bois à grande échelle s’est ainsi peu à peu retirée des forêts de montagne. Cette évolution a perduré jusqu’à aujourd’hui ; elle se caractérise avant tout par une forte augmentation des réserves sur pied, et donc aussi de vieux bois, mais également par un accroissement du volume de bois mort. Au cours du XXe siècle, l’agriculture a en outre été abandonnée sur de vastes pans de montagne, en premier lieu sur des sols peu rentables. Il en a résulté un accroissement de la superficie forestière, qui persiste aujourd’hui.
Les répercussions sur l’avifaune ne sont qu’en partie visibles dans les données avifaunistiques. On suppose que l’accroissement des réserves de bois a surtout amélioré le cadre de vie des pics et autres cavernicoles, comme en témoigne l’indice de la Mésange huppée, qui a nettement augmenté entre 1999 et 2016 au-dessus de 1500 m, contrairement à ce qui prévaut au-dessous. Par ailleurs, l’augmentation du volume de bois, associée à la densification et à l’assombrissement des forêts, est considérée comme un facteur prépondérant du recul du Grand Tétras. Il est par contre probable que la reprise forestière sur d’anciens terrains agricoles ait eu des effets positifs sur les espèces typiques des jeunes stades de développement, mais aussi des négatifs sur celles privilégiant les espaces ouverts ou semi-ouverts : des données du Tessin suggèrent en effet que l’abandon de l’économie pastorale et l’évolution de la végétation qui en résulte pourraient en partie expliquer les tendances négatives affectant le Tétras lyre.
Situation satisfaisante, mais avenir incertain
La plupart des espèces typiques des forêts de conifères subalpines sont très répandues et ne sont pas en danger. Au cours des dernières décennies, bon nombre d’entre elles ont même étendu leur distribution ou ont vu leurs effectifs progresser. L’évolution de leur situation dépendra en premier lieu de l’utilisation future que l’homme fera de ces forêts. L’accroissement des volumes de vieux bois et de bois mort se poursuivra-t-il ? Ou la pénurie d’énergie entraînera-t-elle un regain d’utilisation, voire une surexploitation du bois ? Et en quoi le réchauffement climatique se répercutera-t-il sur les forêts subalpines et leur avifaune ? Aucune réponse n’est certaine, mais une surveillance de la situation revêtira, à l’avenir, une importance capitale sur la prise de décisions, tant en ce qui concerne la forêt que l’avifaune.
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